Montée de l'extrême droite en Europe - Faits et chiffres
L’ascension de l’extrême droite en Europe : état des lieux
Si l’extrême-droite a du succès dans de nombreux pays d’Europe, la Hongrie constitue, avec l’Italie, l’exemple le plus fulgurant de la prise de pouvoir de l’extrême-droite. Le parti Fidesz de Viktor Orbán y est au pouvoir depuis plus de dix ans et a remporté une victoire écrasante aux législatives de 2022. Ces élections lui ont permis de détenir 59 % des sièges au parlement et de former une coalition avec le parti chrétien-démocrate KDNP. Notons que plus de la moitié des électeurs ayant eu l'intention de voter pour ce parti en 2021 vivait dans des zones rurales. 16 % seulement de l'électorat de ce parti vivait à Budapest. Les habitants de la capitale constituaient une bien plus grande part de l'électorat de LMP, le parti des Verts hongrois.Plus récemment, au Portugal, le parti d’extrême droite Chega (Ça suffit) a effectué une percée historique lors des élections du 10 mars 2024, remportant plus de 18% des voix, ce qui le place au rang de troisième principal parti politique portugais. Et en novembre 2023, aux Pays-Bas, le parti d'extrême droite PVV (Parti pour la liberté) a remporté 37 sièges sur 150 au Parlement. Le parti PVV est un parti anti-immigration, climatosceptique et eurosceptique mené par Geert Wilders, surnommé le « Trump néerlandais ».
En Pologne, le parti d’extrême droite Droit et justice (PiS) est arrivé au pouvoir à la Diète polonaise (parlement) en 2015. Aux élections parlementaires de 2023, il a obtenu plus de 35 % des voix, ce qui représente une baisse par rapport aux précédentes élections. Toutefois, le PiS reste le parti ayant le plus de sièges à la Diète. Plus au Nord, en Suède, le parti des Démocrates suédois (Sverigedemokraterna), parti très à droite et anti-immigration, est devenu le deuxième plus grand en termes de voix obtenues aux élections législatives de 2022. Le parti des Démocrates Suédois a surtout séduit des personnes ayant un niveau d’éducation faible, puisque seulement 13 % des citoyens suédois ayant effectué des études supérieures votaient pour ce parti, contre presque 27 % des personnes qui ont arrêté leur éducation après le collège. De plus, presque deux fois plus d'hommes que de femmes auraient voté pour les Démocrates Suédois en 2023.
Enfin, la France ne fait pas exception. Les scores de l’extrême droite ne cessent d’augmenter dans l’hexagone, en particulier ceux du Rassemblement national (RN), Marine Le Pen ayant obtenu 23,2 % des voix au premier tour des élections présidentielles de 2022. Elle réunissait alors les intentions de votes de plus de 37 % des personnes issues d'un milieu social défavorisé, contre seulement 8 % des voix des personnes de milieux aisés. D’ailleurs, presque la moitié des ouvriers affirment avoir voté pour un parti d’extrême droite aux élections législatives françaises de 2022, contre seulement 15 % des cadres.
La montée de l’extrême droite est également visible au Parlement européen. Aux élections européennes de 2019, les partis nationalistes et populistes ont gagné du terrain, obtenant plus de la majorité des voix en Hongrie, en Italie et en Pologne et une part non négligeable des voix en France. Ainsi, le groupe Identité et Démocratie, classé à l'extrême droite, a obtenu 73 sièges au parlement européen, soit 10 % des sièges, et pourrait en obtenir encore davantage après les élections européennes de juin 2024 si l’on en croit les sondages. En France par exemple, le Rassemblement national concentre près de 30% des intentions de vote pour les européennes avec sa liste menée par Jordan Bardella.
Thèmes communs des partis d’extrême droite
Les partis populistes ont souvent des tendances nationalistes et sont généralement pour un affaiblissement, voire une disparition de l’UE, dont ils considèrent qu’elle empiète sur la souveraineté des États. Près de 60% des sympathisants du RN affirmaient en 2022 que l’UE était une mauvaise chose. De nombreux partis d’extrême-droite souhaitent ainsi que leur pays quitte l’Union européenne, à l’instar du Brexit.En outre, les partis et mouvements d’extrême-droite abordent souvent les mêmes thèmes, notamment l’immigration et l’insécurité. En 2022, 95 % des sympathisants du RN affirmaient qu'il y aurait trop d'étrangers en France et 85 % des sympathisants de Fratelli d’Italia sont d’avis que l’Italie devrait se fermer davantage face aux migrants. Les sympathisants des partis d’extrême-droite sont accusés de propager le racisme et l’antisémitisme, allant jusqu’à, dans certains cas, user de la violence. En 2021, la France a procédé à 29 arrestations pour des projets d'attentats terroristes affiliés à l'extrême-droite.
Ces partis se positionnent également en faveur de la tradition, notamment en ce qui concerne le modèle familial. Cela implique généralement moins de droits pour les personnes LGBT+. En Italie par exemple, une circulaire du gouvernement Meloni, envoyée au début de l’année 2023, a demandé aux maires de ne plus transcrire automatiquement les actes de naissance des enfants nés de GPA à l’étranger. Peu après, cette demande a été élargie aux enfants conçus par PMA par des couples de femmes.
Les droits des femmes sont également menacés par les gouvernements régis par l’extrême-droite, qui tentent notamment de limiter voire d’interdire l’accès à l’interruption volontaire de grossesse (IVG). En Pologne, en 2020, le gouvernement a ainsi fortement restreint le droit des femmes de recourir à une IVG, en autorisant l’avortement uniquement en cas de viol, d’inceste, ou si la vie de la mère est en danger. Et en Hongrie, un décret de 2022 oblige les femmes à écouter le cœur du fœtus avant d’avoir la possibilité d’avorter. La restriction de l’IVG en Pologne avait engendré des manifestations et contestations, montrant le désaccord d’une grande partie de la population. En réalité, il semblerait que les citoyens choisissent parfois de voter extrême-droite plutôt par contestation que par accord avec les idées politiques portées par ces partis.
Pourquoi une augmentation du vote d’extrême droite ?
L’abstention était la véritable gagnante du premier tour des élections présidentielles de la France en 2022 et pourrait atteindre de nouveaux records lors des élections européennes de 2024, en particulier chez les jeunes. Mais elle seule et l’affaiblissement des partis traditionnels ne suffisent pas pour expliquer une augmentation aussi forte du vote d’extrême-droite dans toute l’Europe.La progression des mouvements d’extrême-droite et la dédiabolisation des discours populistes pourraient être également liées à une recherche de réponses, après les nombreuses crises auxquelles les Européens ont fait face depuis 2008. Après la crise économique de 2008, puis la forte hausse des prix de l’immobilier les années suivantes, la pandémie de Covid a fortement impacté les populations en Europe. La guerre en Ukraine a ensuite provoqué une crise de l’énergie ainsi qu’une forte inflation, faisant diminuer le pouvoir d’achat de nombreux citoyens. Le pouvoir d’achat et la hausse des prix sont ainsi les deux enjeux qui compteront le plus pour les Français au moment de voter aux élections européennes de 2024.
Ces crises ont également renforcé les inégalités entre les personnes les plus riches et les plus pauvres. Ainsi, entre 2017 et 2021, les 1 % des Français les plus pauvres ont vu leur niveau de vie diminuer de 0,17 % par an alors que les 1 % des Français les plus riches ont bénéficié d’une augmentation de leur niveau de vie de presque 3 % par an. En Allemagne, une enquête a mis en évidence le lien entre revenu et populisme. Plus le revenu d'une personne est faible, plus elle a de chances de développer des tendances populistes. Une augmentation de la pauvreté pourrait donc engendrer une hausse de votes pour l’extrême-droite.
Risques pour la démocratie et l’action climatique
L’arrivée au pouvoir de partis politiques d’extrême-droite affaiblit les droits de grandes parties de la population, notamment des femmes, des personnes LGBT+ et des personnes d’origine étrangère, mais ces partis politiques risquent également d’endommager la stabilité des démocraties européennes. En effet, 72 % des Allemands pensent en 2024 que l’AfD constitue une menace pour la démocratie en Allemagne. Si l’on s’intéresse à l’indice de démocratie des pays d'Europe, on peut voir que la Hongrie et la Pologne, toutes deux alors gouvernées par l’extrême-droite, étaient mal classées par rapport aux autres pays européens en 2021. Allant de pair avec la démocratie, la liberté de la presse est, elle aussi, plus fragile dans les pays gouvernés par l’extrême-droite comme la Hongrie ou l’Italie.Dans une Europe faisant face à de nombreuses crises, de la guerre en Ukraine à la crise climatique, les désirs nationalistes des extrêmes-droites pourraient freiner, voire empêcher, les actions communes, en particulier concernant la lutte contre le dérèglement climatique. Par exemple, l’AfD déclarait en 2017 que le changement climatique serait « à l’œuvre depuis le début de l’existence même de la Terre », un ministre du Fidesz hongrois expliquait en 2018 que « le degré́ auquel les activités humaines impactent le climat est discutable », et le Front national s’est opposé à chacune des 13 réformes climatiques au Parlement européen entre 2009 et 2014. Plus récemment aux Pays-Bas, le PVV de Geert Wilders minimise la gravité de la crise climatique et refuse la coopération internationale sur cette question. Il préconise notamment le maintien des centrales à charbon et l'augmentation de l'extraction pétro-gazière en mer du Nord.
Outre le changement climatique, l’Europe fait aujourd’hui face à de multiples crises, dans la résolution desquelles l’union ou la désunion aura un impact majeur./.