

la digitalisation de la prostitution
L’arrivée d’Internet a bouleversé le monde de la prostitution. Plus de 60% des personnes prostituées en France exerceraient aujourd’hui sur Internet contre moins d’un tiers dans la rue. Pour ce faire, elles utilisent divers sites web, sur lesquels elles déposent des annonces à destination de potentiels clients, ou des réseaux sociaux comme Snapchat et Instagram.Les réseaux sociaux sont également devenus une nouvelle plateforme de recrutement pour les proxénètes. Ces derniers repèrent leurs victimes, notamment sur Instagram, puis les contactent en promettant de l’argent facile et rapide. C’est ainsi que de plus en plus d’adolescentes mineures tombent dans la prostitution, à l’instar de Nina Delcroix, qui a raconté son histoire dans le livre « Papa, viens me chercher ! » publié en 2020. Cette année-là, près de 25% des personnes prostituées avaient commencé la prostitution avant leurs 18 ans, plus de 4% même avant leurs 15 ans. Et la tendance est à la hausse : d’après le service statistique ministériel de la sécurité intérieure, le nombre de mineurs victimes de proxénétisme en France a quadruplé entre 2016 et 2020, passant d'une centaine à 400 victimes en quatre ans, des données elles-mêmes probablement fortement sous-estimées d’après le secteur associatif. Pour tenter de prévenir l’entrée dans la prostitution d’adolescentes, le gouvernement a lancé une campagne de communication sur les dangers de la prostitution des mineurs, comprenant notamment la diffusion d’un clip intitulé « Je gère ! », encourageant les victimes et leur entourage à appeler le 119.
Enfin, le proxénétisme étant interdit en France, Internet a facilité l’organisation secrète de ce business. Des plateformes comme AirBnb permettent aux proxénètes de louer facilement et discrètement des appartements servant de lieu de prostitution, et de changer fréquemment de lieu pour minimiser leurs chances d’être repérés par la police.
Les violences et les réseaux de traite et d’exploitation liés à la prostitution
Les personnes prostituées sont souvent victimes de violences. Plus d’un tiers ont déjà été violées et plus de la moitié d’entre elles subissent régulièrement des violences physiques et psychologiques. Les auteurs de ces violences peuvent être des clients mais aussi les proxénètes, qui se montrent souvent agressifs à l’encontre des prostituées annonçant vouloir arrêter.Il est difficile de dessiner un portrait type de la prostituée, tant les visages de la prostitution sont multiples. Certaines exercent la prostitution régulièrement, d’autres occasionnellement, certaines considèrent qu’il s’agit d’un travail qu’elles effectuent plus volontiers que les autres options qui s’offrent à elles, d’autres sont exploitées sans leur consentement.
Ce qui est certain, c’est que la majorité des personnes prostituées en France vient de l’étranger, la plupart d’Afrique subsaharienne. Le travail du sexe figure parmi les seules possibilités pour les personnes en situation irrégulière de gagner de l’argent. Alors que les prostituées françaises déclarent leur revenu et exercent souvent sous le statut de micro-entrepreneur, les personnes en situation irrégulière doivent exercer dans la clandestinité et ne peuvent pas compter sur le soutien du système judiciaire et du syndicat des travailleurs du sexe, le STRASS.
Il existe également des réseaux d’exploitation sexuelle. Il est estimé qu’en 2022, environ 4.600 adultes et 1.700 enfants ont été victimes d’exploitation sexuelle forcée dans le monde, qui représenterait, d’après l’organisation internationale du travail, près d’un quart du travail forcé mondial.
La situation juridique actuelle en France et la loi de 2016
En France, le proxénétisme, à savoir le fait de tirer profit de la prostitution d’autrui, est réprimé par la loi. Toute personne qui aide, assiste, protège ou incite à la prostitution risque sept ans d’emprisonnement et une amende de 150.000 euros. En 2021, les services de police ont enregistré 482 infractions de proxénétisme, faisant 1.044 victimes. Les proxénètes sont généralement des hommes, souvent de nationalité française.Depuis une loi de 2016, ni la prostitution, ni le racolage public ne sont interdits. En revanche, l’achat de services sexuels est pénalisé. Le client risque une amende de 1.500 €, 3.750 € en cas de récidive. Cette législation dite de « pénalisation du client » a été critiquée et a mis en lumière différentes conceptions. On distingue quatre modèles : une approche prohibitionniste qui associe les personnes prostituées et les proxénètes à des criminels qu’il faut sanctionner. Les abolitionnistes quant à eux estiment que la prostitution opprime, exploite et porte atteinte à la dignité humaine. Ils souhaitent la faire disparaître en pénalisant les clients et en accompagnant les prostituées, perçues comme des victimes, à sortir de cette activité. Inversement, les réglementaristes pensent que la prostitution peut être le fruit d’un choix libre et éclairé et qu’elle doit être considérée comme une profession normale, mais encadrée et réglementée. Enfin, le modèle de la décriminalisation vise à décriminaliser toute activité liée à la prostitution et exclut toute règlementation spécifique à ce secteur, auquel s’appliquent alors le droit du travail et le droit pénal.
D’après plusieurs associations, dont Médecins du Monde, la pénalisation du client mise en place en France en 2016 a pour défaut d’amener les personnes prostituées à se cacher, se rendre dans des lieux reculés et à s’isoler, et donc à être plus exposées à des violences, ainsi qu’à accepter des rapports non protégés pour compenser la baisse des revenus due à la raréfaction des clients. Ces associations reprochent à cette loi de ne pas protéger les personnes prostituées et plaident pour une décriminalisation de la prostitution, comme en Nouvelle-Zélande.
Les Français au contraire, qui pensent que seule une minorité des personnes prostituées ont choisi librement d’exercer cette activité, et qu’il ne devrait pas être possible d'acheter l'accès au corps et à la sexualité d'autrui, sont nombreux à soutenir la loi de 2016. Moins d’un tiers des Français seraient favorables à l’abrogation de cette loi, malgré les arguments avancés par les associations./.