
Le mythe du self-made man
Très ancré dans l’imaginaire nord-américain, le mythe du « self-made man » ou de l’entrepreneur parti de rien qui a permis l’avènement d’une technologie nouvelle simplement grâce à son travail et à sa créativité, marquant ainsi une nouvelle étape du progrès humain est à la fois de plus en plus déconstruit tout en trouvant un écho de plus en plus fort en dehors des États-Unis .Ces histoires de génies de l’entreprenariat connaissent un succès auprès du grand public depuis des décennies, comme peut en témoigner le succès en librairie du livre de Steeve Jobs ou du film sur Mark Zuckerberg, The Social Network. Phénomène encore assez peu développé en France, le « personal branding » des grands patrons d’industries divise cependant déjà fortement. L’idée que le succès d’une entreprise repose sur une seule personnalité relève davantage d’une construction imaginaire collective que d’une réalité sociale et économique.
Le rôle de l’État est souvent écarté dans les récits entrepreneuriaux, comme l’indique Anthony Galluzzo dans son livre « Le mythe de l’entrepreneur – Défaire l’imaginaire de la Silicon Valley ». Le succès des entreprises de la tech n’est pas du seul ressort des patrons des GAFAM. L’État américain investit d’importantes ressources dans la formation des futurs cadres et patrons de la tech. Rien qu’à Stanford, université située au cœur de la Silicon Valley, 51 alumni ont fondé par la suite des licornes, ces start-ups valorisées à plus d'un milliard de dollars. En 2020, l’État américain avait dépensé plus de 600 milliards de dollars dans ses universités. De plus, cette technologie grand public vendue par ces entreprises n’aurait pas pu être disponible sans les recherches fondamentales en informatique effectuées dans les années 1960 ou en intelligence artificielle et robotique depuis des décennies.
L’origine sociale des entrepreneurs est assez peu variée. Même si 60% des milliardaires le sont devenus grâce à leur travail et non à leur héritage, il est intéressant de noter la faible diversité des profils. Elon Musk est le fils d’un riche promoteur immobilier Sud-Africain, Bill Gates avait pour père William Henry Gates, puissant avocat d’affaires, le père de Warren Buffet était membre du Congrès américain… En France, parmi les milliardaires, on trouve quelques entrepreneurs issus de la classe moyenne comme Xavier Niel, mais la reproduction sociale des élites est une réalité sociologique très présente. Dans les grandes écoles françaises comme l’École Normale Supérieure ou les écoles d’ingénieur, on observait en 2020 toujours une très forte sur-représentation des enfants de cadres.
Une concentration des richesses de plus en plus forte
En 2023, la fortune de l’homme le plus riche de France, Bernard Arnault, s’élevait à 191 milliards d’euros, soit l’équivalent de 4,7 millions d’années du salaire moyen en France. À titre d’illustration, si Lucy, l’australopithèque, avait pu vivre assez longtemps pour travailler jusqu’à aujourd’hui avec un salaire annuel brut de 40.115 euros (salaire moyen brut en France de 2021), l’ensemble de ses gains n’aurait pas suffi à égaler la fortune du patron de LVMH.En outre, la période est plutôt favorable pour les grandes fortunes en France. L’institut des politiques publiques a analysé les variations annuelles du niveau de vie depuis l’élection du Président Emmanuel Macron. D’après les résultats, ce sont les 1% les plus riches qui ont vu leur niveau de vie augmenter le plus, au contraire des revenus les plus faibles, dont le niveau a chuté pendant son premier quinquennat. Cependant, la France bénéficie d’une politique de redistribution des richesses assez puissante pour atténuer les inégalités, contrairement aux pays d’Afrique australe où les indices d’inégalités (indice de Gini) sont les plus élevés au monde.
Au niveau planétaire, c’est aussi une minorité qui détient une part gigantesque de la richesse mondiale. En 2021, les 1% les plus fortunés détenaient 45% de la richesse mondiale, tandis que cette même-année, les 50% les plus pauvres se partageaient 1,75% du patrimoine planétaire. Et à chaque crise économique, comme en 2008 ou en 2020, les catégories sociales les plus précaires voient leur part diminuer fortement.
L’impact écologique des grandes fortunes
Il est estimé que les 0,01% les plus riches du globe avaient émis en moyenne 2.332 tonnes par personne en 2019, soit 1.000 fois plus que l’objectif fixé par les différentes COP ces dernières années pour limiter le dérèglement climatique. En 2018, le train de vie des plus grandes fortunes mondiales a généré des quantités gigantesques de dioxyde de carbone, comme l'oligarque russe, Roman Abramovich, dont les émissions équivalaient aux émissions annuelles de 6.400 Français.Autre élément souvent reproché aux grandes fortunes : leur recours fréquent aux jets privés. En France, ce mode de transport a été mis sur le devant de la scène en 2022, alors que le pays traversait des vagues de chaleur successives et une crise énergétique. En effet, les jets privés ont une empreinte écologique très élevée par personne. Par exemple, sur un trajet Bordeaux-Paris, 769 kilogrammes de CO2 sont rejetés pour chaque passager d’un jet privé alors que les émissions ne s’élèvent qu’à 1,8 kilogramme pour le même trajet en train. Au total en France, l’ensemble de l’aviation privée a émis plus de 380.000 tonnes de CO2 en 2022.
Jusqu’ici, seul le mode de vie des plus riches est pris en compte. Certaines études recommandent d’inclure les actifs financiers des grandes fortunes dans le calcul de leur bilan carbone en faisant le ratio entre les parts détenues dans une entreprise et les émissions de CO2 de cette même entreprise.
Le mouvement des gilets jaunes a cristallisé un mécontentement des classes moyennes et populaires concernant les inégalités face à la lutte contre le changement climatique. En voulant imposer la taxe carbone sur les carburants, l’État faisait peser la décarbonation de la France sur les épaules des Français les moins aisés, alors que ce sont les ménages les plus riches qui alourdissent le plus le bilan carbone du pays. Face à cette gronde populaire, l’État a réagi en organisant une convention citoyenne pour le climat afin de trouver des solutions pour une lutte plus équitable contre le changement climatique. Finalement, seulement 10% des propositions ont été appliquées sans aucune modification.