Lors d'une conférence technologique à Turin le 3 octobre 2025, Jeff Bezos, le fondateur d'Amazon et de l'entreprise spatiale privée Blue Origin, a dévoilé son surprenant projet d'installer des data centers dans l'espace. Le milliardaire a évoqué un lancement à grande échelle d'ici dix à vingt ans, et justifie son projet en soulignant que ces centres de données spatiaux bénéficieraient d'une énergie solaire constante, ce qui leur permettrait d'être bien plus compétitifs que les data centers terrestres actuels. L'idée n'est pas nouvelle : en 2023, la Commission européenne a lancé une étude de faisabilité, pilotée par l'entreprise franco-italienne Thales Alenia Space, pour explorer la création de data centers en orbite afin de réduire l'empreinte carbone du numérique : le projet ASCEND (Advanced Space Cloud for European Net zero emission and Digitalisation).
Mais pourquoi délocaliser ces infrastructures informatiques dans l'espace ? Une très grande partie des forts besoins énergétiques des centres de données est liée au fonctionnement des serveurs informatiques et à leur refroidissement. Selon les experts, les températures très basses dans l'espace (-270 °C en moyenne) réduiront considérablement le besoin d'équipements de refroidissement énergivores. En outre, alimentés par des panneaux solaires, les data centers spatiaux pourront directement utiliser l'énergie du soleil hors de l'atmosphère terrestre (jusqu'à 30% d'énergie en plus par rapport à la surface de la Terre) et cela pendant 24h/24.
D'après une analyse publiée l'an dernier par l'entreprise Starcloud, qui travaille actuellement sur le déploiement d'un réseau de centres de données de plusieurs mégawatts dans l'espace (lancement d'un démonstrateur prévu fin 2025), la différence de coûts d'exploitation par rapport aux infrastructures terrestres pourrait être considérable. Ainsi, selon les calculs de la société, l'exploitation pendant dix ans d'un data center terrestre de 40 MW coûte plus de 160 millions de dollars (sur la base d'un prix de l’électricité de 0,04 $/kWh), incluant principalement l'énergie liée au fonctionnement (140 millions), l'alimentation de secours (20 millions) et le système de refroidissement (7 millions). En comparaison, d'après leurs estimations, exploiter la même infrastructure dans l'espace pendant dix ans coûterait moins de 10 millions de dollars (8,2 millions précisément), la majeure partie des coûts provenant du lancement en orbite (environ 5 millions, soit plus de 60 % du total). Les coûts énergétiques associés, autour de 2 millions de dollars, correspondent au coût des panneaux solaires spatiaux, généralement conçus pour durer plus de vingt-cinq ans.
Les seuls points d'ombre de cette solution séduisante sur le papier concernent la potentielle saturation de l'orbite terrestre par un nombre croissant d'objets, caractérisée par l'accumulation de satellites (déploiement récent de constellations), une prolifération de débris spatiaux et un risque accru de collisions, ainsi que les vulnérabilités auxquelles seraient exposées ces infrastructures stratégiques dans le contexte actuel de militarisation de l'espace (satellites militaires, espionnage/piratage de systèmes spatiaux, etc.).
Sur le même sujet : la consommation énergétique des data centers est amenée à doubler d'ici 2030.



















